⭐6. Rock « n' Fuck


L

e Rock « n' World Music festival battait son plein : la foule était en délire ; des milliers de personnes criaient mon nom en envoyant des fleurs et des sous-vêtements que j'évitais à grand-peine sur la scène. J'étais en pleine effervescence, mais mes yeux contrèrent facilement ceux de Sara qui s'époumonait au premier rang.

Ça me faisait plaisir de voir qu'elle connaissait mes chansons.
Elle avait négligemment inséré un tee-shirt noir avec le logo Thrasher en flammes, à l'intérieur d'un short en jean taille haute. Le tout, accompagné de bottes Dr Martens et de lunettes de soleil de style vintage qu'elle avait posées sur ses cheveux bruns réunis en une queue de cheval bouffante.
Elle balançait ses bras ornés de bracelets et différentes breloques, de gauche à droite au rythme endiablé de Heartless, comme le reste du public rassemblé dans l'amphithéâtre ce jour-là.

À la fin du morceau, des cris de fans excités retentissaient dans tous les recoins du Hollywood Bowl. Ils hurlaient, sifflaient, brandissaient leurs pancartes clamant leurs affections pour moi et pour les musiciens.

Je leur souris et leur déclarai avec toute ma reconnaissance, mon amour dans le microphone ; ce qui eut le mérite de redoubler leurs hurlements d'ovation.

J'aimais ces moments. J'en restais souvent perplexe à me demander pourquoi ils me vouaient tout cet amour alors que je faisais juste ce que j'aimais ; chanter était toute ma vie. Dans cette relation qu'on entretenait, il était clair que j'en sortais doublement bénéficiaire.

C'était pour cela que j'adorais tellement les Rrivers. C'était connu que j'étais un connard ; mais un connard gentil avec ses fans.
Si un selfie ou un meet-up avec moi pouvait faire leur bonheur, le plus souvent, je me débrouillais pour les leur accorder. Si donner toute mon âme sur scène les rendait heureux, alors je m'exécutais peu importait mon humeur. Parce qu'à mon avis, jamais je ne pourrais leur rendre entièrement ce qu'ils m'avaient donné.

Le plus grand amphithéâtre naturel des États-Unis, adossé à une colline d'Hollywood avec son architecture en forme de coque à moitié ouverte, accueillait plus de vingt mille personnes ce jour-là.

J'adressai un large sourire à Sara qui me le rendit comme convenu, et je levai mes deux poings fermés en l'air comme à la fin de chaque morceau afin de déchaîner le public.
Je me dirigeai ensuite vers un coin de la scène, sous les regards interrogateurs du public et des musiciens. Mon assistante m'y attendait et elle me tendit une bouteille d'eau que je vidai en moins d'une minute. Je lui remis ensuite ma guitare électrique, car celle-ci ne m'accompagnerait pas dans le prochain morceau. J'enlevai finalement ma veste en cuir, hérissée de petites piques sur les épaules et lui confiai le vêtement avant de regagner le devant de la scène.

Je repris ma place derrière le micro placé sur un pied, mes bras dénudés, dénués de tout tatouage, désormais exposés à la vue de tous.

Ils étaient luisants de sueur, comme toutes ces personnes présentes pouvaient le constater, grâce à mon tee-shirt noir sans manche affublé du slogan Rock « n » fuck, que j'avais accompagné d'un jean destroy noir et des bottes de motard de la même couleur.

En fait, tout mon corps suait à cause des deux premiers morceaux de Hard Rock qu'on venait de jouer. J'avais chanté de tout mon cœur et m'étais acharné sur Amy Lee, afin de donner le meilleur de moi-même à ce festival.

Oui, ma guitare s'appelait Amy Lee, comme mon idole, la chanteuse du groupe de rock Evanescence. Ça remontait à trois ans plus tôt lorsqu'un soir où les gars et moi étions un peu trop bourrés, nous avions trouvé drôle de donner les noms de nos crushs de l'époque à nos instruments, histoire de les caresser sur scène.

J'appréciais toujours le talent musical de la chanteuse trentenaire, mais mon béguin pour elle était depuis longtemps parti. J'imaginais que c'était aussi le cas pour la plupart des autres. Mais comme on était déjà habitué aux noms, ils étaient restés.

L'idée venait de Lucas Chase, le pianiste aux cheveux longs, qui arborait de multiples tatouages colorés, et dont les yeux bruns étaient cerclés de khôl 24 h sur 24. C'était le bouffon de la bande, à cause de son caractère et des blagues qu'il faisait à longueur de journée. Son orgue numérique à lui s'appelait Lucy.
Ce mec adorait vraiment les brunes.

Jason McGraal, le blond aux yeux verts, avec les traits durs, comme sculptés au couteau dans l'argile, et les tatouages sur tout le torse et les bras, avait surnommé sa basse Bella.
Jusqu'à nos jours, il avait refusé de nous dire de laquelle des Bella il s'agissait.

La guitare de Ty ou Tyson Felton ; le gringalet avec les écarteurs aux oreilles et les cheveux gominés, avait été baptisé Madonna. C'était le plus âgé de nous tous avec ses vingt-six ans, mais on s'était foutu de la gueule du guitariste principal, car la chanteuse de 59 ans faisait près de deux fois son âge. Cependant, son béguin devait être très fort, car il n'avait pas changé le nom de son instrument.

Les seuls à ne pas porter des noms de célébrités étaient les baguettes de Sam ou Isami Lok, l'Asiatique de la bande avec son éternel bandana autour des cheveux. C'était le seul après moi à ne pas arborer de tatouage. Il avait surnommé ses baguettes Lara et Black, comme sa copine avec qui il était en couple depuis désormais cinq ans.

Lara était aussi mon assistante, ma styliste et ma maquilleuse qui avait à peu près vingt piercings au total. C'était d'ailleurs elle qui m'avait percé la lèvre inférieure et les oreilles à la suite d'un pari. Mais je ne le regrettais pas. Au contraire, j'envisageais même un quatrième depuis un moment.

Apparemment, on avait noté que mes yeux revenaient sans cesse à Sara. J'émis un petit rire amusé, lorsque je découvris qu'on avait affiché sur les deux écrans géants LED de part et d'autre de la scène, deux gros plans de nos visages. Je lui adressai un clin d'œil et soufflai exprès dans le micro à son intention :

– Coucou beauté !

Elle avait souri puis avait recouvert son visage de ses deux mains, tandis que j'entamais immédiatement Dirty mind, l'un de mes plus grands succès.

C'était une ballade érotique à la rythmique puissante. Un morceau de Heavy Metal qui était l'une des rares chansons que j'aimais vraiment dans mes albums.

Les cris et les décibels s'étaient calmés pendant que j'entamais le premier couplet, de ma voix au timbre puissant et écorché.

Jason assurait à la basse en secouant ses cheveux blonds au tempo de la musique et parcourant la foule de ses émeraudes qui faisaient fondre plus d'unes. Ty avec son expression fermée gérait comme un pro avec ses riffs envoûtants sur sa Fender Stratocaster.

Lucas, avec son sourire narquois et son regard charmeur, séduisait le public avec les accords de son orgue numérique. Et enfin, Sam, assis au fond, frappait sur tout ce qu'il pouvait avec une maîtrise que lui seul possédait. On jouait de toute notre âme, car c'était notre dernier morceau avant qu'on ne laisse la scène à un autre groupe.

Les gens étaient tous suspendus à mes lèvres tandis que je racontais en chantant, comment une certaine fille et moi étions faits l'un pour l'autre, car nous avions tous les deux un esprit cochon.

Je faisais l'amour au microphone en laissant mes yeux de séducteurs parcourir le public majoritairement féminin. Mon regard s'accrochait quelques secondes à certaines d'entre elles aux premiers rangs. Et je pouvais lire dans leur iris que ce soir-là, elles rêveraient de moi. Ce soir-là, j'allais peupler leurs fantasmes. Rick Rivera les avait regardées en chantant ; Rick Rivera avait chanté rien que pour elles.

Lorsqu'on arriva au refrain, la foule en liesse se mit à chanter avec moi, me procurant cette sensation d'euphorie que je ne ressentais que sur scène.

Au milieu du deuxième couplet, j'enlevai le micro du pied et m'avançai sur l'avant-scène.
Je m'y agenouillai en tendant la main aux Rrivers en transe qui se bousculaient rien que pour me toucher. Je continuais de chanter en essayant de frôler le plus de doigts possible. L'ambiance était juste électrique. Et le plaisir qui me parcourait les veines ? Indescriptible.

Les musiciens s'interrompirent tous comme convenu lorsqu'on arriva de nouveau au refrain. Et comme d'un commun accord, la foule de plus de vingt mille personnes se tut, tandis que ma voix seule résonnait dans l'amphithéâtre, sensuelle, profonde, envoûtante :

I can see it in your eyes baby.
You got a dir-dir-dirty mind
I think that's why we're meant to be
Cause I got a dir-dir-dirty mind... too


Puis la batterie de Sam retentit en arrière comme le tonnerre et la musique reprit, puissante, entraînante...

Les gens s'étaient eux aussi remis à hurler et à envoyer des fleurs sur la scène. J'arrêtai de chanter et souris en tournant le micro vers eux. Ils continuèrent à ma place, leurs voix s'élevant en chœur, comme une grande chorale unie dont j'étais le maestro. C'était purement magique !
Je me levai et leur tournai le dos afin d'essuyer une larme qui s'était échappé à cause du trop-plein d'émotions.

Le morceau touchait presque à sa fin. Je ne voulais pourtant pas que ça s'arrête.

Les écrans étaient maintenant occupés par mon image seule, donc je remarquai un peu en retard la bagarre qui avait éclaté à l'endroit qu'occupait Sara quelques minutes plus tôt.

Les gardes du corps postés près d'elle s'empressaient de la faire dégager. Mais j'avais arrêté de chanter en plein milieu d'une strophe, sous les regards courroucés de mes musiciens.

Sara et les colosses avaient disparu de ma vue. Je quittai le podium sans un regard pour le public et les rockeurs qui devaient être en pleine confusion.

– Rick, remonte sur scène ! m'intima Maryse à peine eus-je débarqué backstage.

– Elle va bien ? m'enquis-je, sincèrement angoissé.

– Non, mais t'es cinglé ? s'insurgea la manager d'une voix stridente. Tu t'arrêtes en plein milieu d'une chanson parce que t'es inquiet, alors même que tu sais qu'on l'a fait sortir ? C'est quoi ton problème, bordel ?

Elle n'avait pas terminé de parler que Sara débarquait, suivie de près par deux armoires à glace.

– T'es pas sur scène ! s'étonna-t-elle en me détaillant d'un air incrédule.

– Ça va ? demandai-je, en l'examinant, les sourcils froncés, sans relever sa remarque.

– Oui, ne t'en fais pas, assura-t-elle sur un ton qu'elle voulait léger. On voulait juste me tuer parce que tu m'as saluée personnellement. Rien de grave.

– Rien de grave ? répétai-je, abasourdi.

– Rick ! intervint Jason qui avait lui aussi quitté la scène. Le public s'impatiente.

Il jeta ensuite un regard hostile à Sara que celle-ci ne se retint pas de lui rendre. Le bassiste devait sûrement la détester à cause de ma gaffe. Mais ce n'était pas de ma faute. Je n'avais jamais ressenti une telle inquiétude de ma vie.

– Tu es sûre que ça va ? insistai-je à l'intention de Sara.

– Rick, je t'en prie, remonte sur scène. Crois-moi, ça va.

– D'accord.

Je m'étais exécuté et étais retourné auprès de la foule qui s'était calmée après mes excuses et à la minute où j'avais recommencé à jouer Dirty mind. Le cœur n'y était pourtant plus. J'avais tellement eu peur qu'il lui fût arrivé quelque chose à cause de moi. Pourtant, je savais que je pouvais faire confiance à Quinn et Grant pour la protéger. Moi qui pourtant étais si doué pour cacher mes émotions, voilà que j'avais abandonné un concert pour une fille !

La chanson terminée après mes multiples faux raccords dont j'espérais que très peu de personnes avait remarqué l’existence, je quittai le podium sans même un petit mot à l'adresse du public ; ce qui était assez inhabituel. Le fait était que j'étais en colère sans savoir contre quoi exactement.

J'espérais simplement que les musiciens me succédant feraient vite oublier mon comportement à mes fans, ne serait-ce que le temps du festival.

C'était un spectacle organisé chaque année dont les fonds récoltés servaient à la recherche contre le cancer. On faisait toujours appel à plus d'une dizaine de groupes et de stars internationaux. Je n'étais que le quatrième à passer sur scène, et on était qu'au début de l'après-midi.

Je n'avais pas eu la force de rester subir d'autres reproches et des regards déçus. Je n'attendis pas la fin du festival et je m'empressai de partir en emmenant Sara avec moi. Je pensais que la sortie serait libre, car le concert battait encore son plein. Pourtant, une bonne centaine de personnes m'y attendait.

Je signai quelques autographes, pris quelques selfies et replaçai ma main où elle était, dans celle de Sara.

– Rick ! s'époumona quelqu'un plus fort que les autres.

Je me tournai, intrigué, en direction de la voix et le regrettai dans la seconde.

Pas elle !

– Rick, oh mon Dieu, c'est toi !

Non, c'est Justin Bieber.

– Tu ne te rappelles pas de moi ? claironna la fausse blonde avec un sourire plein d'espoir.

– Non, désolé, fis-je d'une voix monocorde. Tu veux un autographe ?

Elle pinça les lèvres en me toisant d'un air méprisant, et puis d'autres personnes plus intéressées la poussèrent pour avoir un peu de mon attention.

J'espérais sincèrement ne plus jamais revoir cette folle.

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